Quels vous semblent être les principaux enjeux en matière de prévention des infections associées aux soins (IAS) à l’hôpital ?
Pr Jean-Winoc Decousser : Deux grands défis nous mobilisent aujourd’hui : d’une part, les tensions croissantes sur les ressources, qui affectent l’ensemble du système de santé ; d’autre part, l’impact environnemental de nos pratiques, qui nous pousse à réinterroger certains paradigmes. Je commencerai par le premier point. Les difficultés actuelles d’accès aux soins entraînent des prises en charge souvent tardives, avec des pathologies plus complexes, des durées d’hospitalisation allongées… autant de facteurs qui augmentent mécaniquement le risque d’IAS. Parallèlement, le manque de personnel soignant complique l’application rigoureuse des bonnes pratiques en matière de prévention, parfois perçues comme une contrainte supplémentaire dans un quotidien déjà surchargé. La volonté de bien faire est là chez l’immense majorité des soignants, mais encore faut-il leur en donner les moyens. Il est crucial que les pouvoirs publics prennent pleinement conscience qu’investir dans la prévention des IAS revient, à terme, à soulager la pression sur notre système de santé. C’est un enjeu à la fois éthique et économique, en raison des conséquences des IAS pour les patients et de leur coût considérable pour la collectivité.
Peut-on dire que les précautions d’hygiène sont aujourd’hui perçues comme secondaires par les professionnels de santé ?
Pas exactement, mais il faut reconnaître que le contexte actuel complique leur mise en œuvre. Quand les équipes sont en sous-effectif, il devient illusoire de leur demander d’être partout à la fois. On observe aussi une certaine lassitude : les exigences s’accumulent, sans que les moyens suivent. Or, la prévention et le contrôle des infections (PCI) ne relèvent pas uniquement de protocoles techniques – ils ont aussi une forte dimension psychologique et sociale, souvent négligée. L’exemple de la vaccination est éclairant à cet égard. L’adhésion des soignants à la vaccination antigrippale, déjà historiquement limitée, tend à baisser encore lors des crises économiques ou sociales. Cela est d’autant plus regrettable que la vaccination reste un levier majeur de prévention.
Vous l’avez mentionné, l’autre grand enjeu concerne l’impact environnemental de la PCI. Que pourriez-vous nous en dire ?
Le changement climatique et les effets environnementaux des activités humaines suscitent aujourd’hui une prise de conscience croissante en matière de développement durable. Les établissements de santé n’échappent pas à cette dynamique et sont de plus en plus nombreux à engager une réflexion sur leur responsabilité sociale et environnementale (RSE). Cela les conduit à repenser un certain nombre de pratiques. Mais attention : toutes les actions à visée écologique ne sont pas nécessairement compatibles avec les exigences de la PCI. Une mesure bénéfique pour l’environnement peut, si elle est mal pensée, compromettre la sécurité des soins.
Par exemple ?
Certaines orientations vont dans le bon sens sur tous les plans : privilégier les traitements administrés par voie orale plutôt qu’intraveineuse, par exemple, permet non seulement de réduire l’empreinte écologique, mais aussi de limiter les risques d’IAS. À l’inverse, abaisser la température des réseaux d’eau pour réduire la consommation énergétique peut accroître le risque de prolifération des légionelles – un compromis dangereux en matière de santé publique. Des solutions existent cependant, comme l’optimisation des purges des réseaux, qui permettent de réduire la consommation d’eau et d’énergie tout en limitant d’éventuels dommages collatéraux. En somme, toute démarche environnementale dans le champ de la PCI doit être pensée en étroite collaboration avec les hygiénistes. C’est la seule manière d’avancer de façon éclairée, sans compromettre la sécurité des soins.
Pr Jean-Winoc Decousser : Deux grands défis nous mobilisent aujourd’hui : d’une part, les tensions croissantes sur les ressources, qui affectent l’ensemble du système de santé ; d’autre part, l’impact environnemental de nos pratiques, qui nous pousse à réinterroger certains paradigmes. Je commencerai par le premier point. Les difficultés actuelles d’accès aux soins entraînent des prises en charge souvent tardives, avec des pathologies plus complexes, des durées d’hospitalisation allongées… autant de facteurs qui augmentent mécaniquement le risque d’IAS. Parallèlement, le manque de personnel soignant complique l’application rigoureuse des bonnes pratiques en matière de prévention, parfois perçues comme une contrainte supplémentaire dans un quotidien déjà surchargé. La volonté de bien faire est là chez l’immense majorité des soignants, mais encore faut-il leur en donner les moyens. Il est crucial que les pouvoirs publics prennent pleinement conscience qu’investir dans la prévention des IAS revient, à terme, à soulager la pression sur notre système de santé. C’est un enjeu à la fois éthique et économique, en raison des conséquences des IAS pour les patients et de leur coût considérable pour la collectivité.
Peut-on dire que les précautions d’hygiène sont aujourd’hui perçues comme secondaires par les professionnels de santé ?
Pas exactement, mais il faut reconnaître que le contexte actuel complique leur mise en œuvre. Quand les équipes sont en sous-effectif, il devient illusoire de leur demander d’être partout à la fois. On observe aussi une certaine lassitude : les exigences s’accumulent, sans que les moyens suivent. Or, la prévention et le contrôle des infections (PCI) ne relèvent pas uniquement de protocoles techniques – ils ont aussi une forte dimension psychologique et sociale, souvent négligée. L’exemple de la vaccination est éclairant à cet égard. L’adhésion des soignants à la vaccination antigrippale, déjà historiquement limitée, tend à baisser encore lors des crises économiques ou sociales. Cela est d’autant plus regrettable que la vaccination reste un levier majeur de prévention.
Vous l’avez mentionné, l’autre grand enjeu concerne l’impact environnemental de la PCI. Que pourriez-vous nous en dire ?
Le changement climatique et les effets environnementaux des activités humaines suscitent aujourd’hui une prise de conscience croissante en matière de développement durable. Les établissements de santé n’échappent pas à cette dynamique et sont de plus en plus nombreux à engager une réflexion sur leur responsabilité sociale et environnementale (RSE). Cela les conduit à repenser un certain nombre de pratiques. Mais attention : toutes les actions à visée écologique ne sont pas nécessairement compatibles avec les exigences de la PCI. Une mesure bénéfique pour l’environnement peut, si elle est mal pensée, compromettre la sécurité des soins.
Par exemple ?
Certaines orientations vont dans le bon sens sur tous les plans : privilégier les traitements administrés par voie orale plutôt qu’intraveineuse, par exemple, permet non seulement de réduire l’empreinte écologique, mais aussi de limiter les risques d’IAS. À l’inverse, abaisser la température des réseaux d’eau pour réduire la consommation énergétique peut accroître le risque de prolifération des légionelles – un compromis dangereux en matière de santé publique. Des solutions existent cependant, comme l’optimisation des purges des réseaux, qui permettent de réduire la consommation d’eau et d’énergie tout en limitant d’éventuels dommages collatéraux. En somme, toute démarche environnementale dans le champ de la PCI doit être pensée en étroite collaboration avec les hygiénistes. C’est la seule manière d’avancer de façon éclairée, sans compromettre la sécurité des soins.
Vous évoquiez plus haut la nécessité de remettre en question certains paradigmes…
La réutilisation de dispositifs à usage unique est ici un exemple éloquent. Les expérimentations en cours nécessitent toutefois de nombreux ajustements avant d’envisager un déploiement à grande échelle. Mais l’idée même de remettre en question ce qui semblait jusqu’ici intangible illustre bien l’essence de la démarche scientifique : interroger, tester, faire évoluer les pratiques à mesure que les connaissances progressent. Ce processus n’est pas toujours aisé, car certaines habitudes sont profondément ancrées. Il faut faire preuve de fermeté lorsque les preuves scientifiques sont solides pour maintenir l’existant, mais aussi rester ouvert à l’évolution, tant des savoirs que des réalités de terrain, et mobiliser tous les leviers à notre disposition.
La formation de tous les professionnels de santé joue ici un rôle majeur. Comment relever le défi ?
Les tensions sur les effectifs soignants compliquent évidemment la donne. Heureusement, de nouvelles approches pédagogiques se développent, à l’instar des webinaires organisés par le JePPRI – la commission des jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux de la SF2H –, qui constituent une alternative efficace aux formations classiques en présentiel. Nous misons également sur des outils plus interactifs et ludiques, tels que les jeux sérieux, ou des dispositifs immersifs comme la « chambre des erreurs ». Ces formats permettent non seulement de toucher un public plus large, mais aussi de mieux adapter les messages à certains métiers auprès desquels ils étaient parfois peu entendus. C’est notamment le cas des aides-soignants. Notre société savante, historiquement fondée sur une collaboration étroite entre médecins et infirmiers, gagnerait sans doute à mieux les intégrer. Car la prévention du risque infectieux est l’affaire de tous, à tous les niveaux du soin.
Un mot, pour finir, sur le prochain congrès national de la SF2H, qui se tiendra du 4 au 6 juin à Marseille ?
Particulièrement riche, l’édition 2025 mettra l’accent sur le partage d’expérience, avec plus de 1 700 participants et plus de 80 partenaires industriels attendus. L’intérêt scientifique est également en nette progression : nous avons reçu 380 soumissions d’abstracts cette année, contre 320 en 2024. Le programme s’articulera autour de quatre grandes thématiques : la prévention du risque infectieux chez le nouveau-né et la personne âgée, deux populations particulièrement vulnérables ; la prévention des infections du site opératoire, avec un point sur les nouvelles recommandations ; les soins écoresponsables, un sujet en plein essor mais qui nécessite, comme nous l’avons vu, une réelle réflexion sur la balance bénéfice-risque ; et enfin, la tuberculose, toujours d’actualité, en lien avec les infectiologues. Six prix seront également décernés pour récompenser les meilleures contributions, qu’elles soient médicales ou paramédicales. Une bourse de recherche en soins paramédicaux viendra également encourager l’innovation dans ce domaine. Ce congrès s’annonce, une fois encore, comme un rendez-vous incontournable pour faire avancer la prévention du risque infectieux et renforcer la dynamique collective autour de la PCI.
> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici
La réutilisation de dispositifs à usage unique est ici un exemple éloquent. Les expérimentations en cours nécessitent toutefois de nombreux ajustements avant d’envisager un déploiement à grande échelle. Mais l’idée même de remettre en question ce qui semblait jusqu’ici intangible illustre bien l’essence de la démarche scientifique : interroger, tester, faire évoluer les pratiques à mesure que les connaissances progressent. Ce processus n’est pas toujours aisé, car certaines habitudes sont profondément ancrées. Il faut faire preuve de fermeté lorsque les preuves scientifiques sont solides pour maintenir l’existant, mais aussi rester ouvert à l’évolution, tant des savoirs que des réalités de terrain, et mobiliser tous les leviers à notre disposition.
La formation de tous les professionnels de santé joue ici un rôle majeur. Comment relever le défi ?
Les tensions sur les effectifs soignants compliquent évidemment la donne. Heureusement, de nouvelles approches pédagogiques se développent, à l’instar des webinaires organisés par le JePPRI – la commission des jeunes professionnels de la prévention du risque infectieux de la SF2H –, qui constituent une alternative efficace aux formations classiques en présentiel. Nous misons également sur des outils plus interactifs et ludiques, tels que les jeux sérieux, ou des dispositifs immersifs comme la « chambre des erreurs ». Ces formats permettent non seulement de toucher un public plus large, mais aussi de mieux adapter les messages à certains métiers auprès desquels ils étaient parfois peu entendus. C’est notamment le cas des aides-soignants. Notre société savante, historiquement fondée sur une collaboration étroite entre médecins et infirmiers, gagnerait sans doute à mieux les intégrer. Car la prévention du risque infectieux est l’affaire de tous, à tous les niveaux du soin.
Un mot, pour finir, sur le prochain congrès national de la SF2H, qui se tiendra du 4 au 6 juin à Marseille ?
Particulièrement riche, l’édition 2025 mettra l’accent sur le partage d’expérience, avec plus de 1 700 participants et plus de 80 partenaires industriels attendus. L’intérêt scientifique est également en nette progression : nous avons reçu 380 soumissions d’abstracts cette année, contre 320 en 2024. Le programme s’articulera autour de quatre grandes thématiques : la prévention du risque infectieux chez le nouveau-né et la personne âgée, deux populations particulièrement vulnérables ; la prévention des infections du site opératoire, avec un point sur les nouvelles recommandations ; les soins écoresponsables, un sujet en plein essor mais qui nécessite, comme nous l’avons vu, une réelle réflexion sur la balance bénéfice-risque ; et enfin, la tuberculose, toujours d’actualité, en lien avec les infectiologues. Six prix seront également décernés pour récompenser les meilleures contributions, qu’elles soient médicales ou paramédicales. Une bourse de recherche en soins paramédicaux viendra également encourager l’innovation dans ce domaine. Ce congrès s’annonce, une fois encore, comme un rendez-vous incontournable pour faire avancer la prévention du risque infectieux et renforcer la dynamique collective autour de la PCI.
> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici
Trois questions au Dr Pierre Parneix, président de la SF2H.
Vous avez présidé la SF2H entre 2015 et 2019, puis à nouveau à partir de 2021. Quels ont été, selon vous, les moments forts de ce second mandat ?
Dr Pierre Parneix : Celui-ci a été marqué par plusieurs temps forts. Je retiens d’abord la révision du Guide de prévention de la transmission par voie respiratoire, publiée en octobre 2024. Tirant les enseignements de la crise Covid, elle dépasse l’opposition classique « air vs gouttelettes » pour affirmer l’importance de la qualité de l’air intérieur comme levier majeur de prévention. Autre étape essentielle : la création du JePPRi, notre commission des jeunes professionnels. Leur engagement renforce notre dynamisme et donne une nouvelle visibilité à notre spécialité. Avec 1 223 adhérents en 2024, la SF2H atteint un record, reflet d’une dynamique positive appelée à se poursuivre.
Et le congrès ?
Il s’impose plus que jamais comme le rendez-vous phare de l’année. La richesse du programme scientifique, alliée à une forte implication de nos partenaires industriels, en fait un lieu d’échanges et d’innovations. L’édition 2025 s’annonce particulièrement prometteuse, avec une exposition technique complète et un focus sur la vaccination, sujet central sur lequel la SF2H souhaite fournir une information fiable et pédagogique pour soutenir le terrain.
Vous êtes également responsable du CPias Nouvelle-Aquitaine. Quels sont vos axes de travail ?
Plusieurs problématiques mobilisent aujourd’hui l’ensemble des CPias, à commencer par l’arrivée de Candida auris. Concernant spécifiquement le CPias Nouvelle-Aquitaine, nous travaillons notamment sur la prévention et la prise en charge des infections par voies veineuses périphériques, avec la diffusion d’outils concrets et des partenariats renforcés avec les CRAtb, les Centres régionaux en antibiothérapie. L’enjeu, aujourd’hui, est d’accélérer la prise en charge des patients. Malgré les progrès techniques, des failles de communication persistent : des informations essentielles ne sont parfois pas transmises à la bonne personne, au bon moment. Ce point constitue un axe d’amélioration majeur, qui dépasse le champ de notre spécialité, mais sur lequel il est crucial d’agir.
Vous avez présidé la SF2H entre 2015 et 2019, puis à nouveau à partir de 2021. Quels ont été, selon vous, les moments forts de ce second mandat ?
Dr Pierre Parneix : Celui-ci a été marqué par plusieurs temps forts. Je retiens d’abord la révision du Guide de prévention de la transmission par voie respiratoire, publiée en octobre 2024. Tirant les enseignements de la crise Covid, elle dépasse l’opposition classique « air vs gouttelettes » pour affirmer l’importance de la qualité de l’air intérieur comme levier majeur de prévention. Autre étape essentielle : la création du JePPRi, notre commission des jeunes professionnels. Leur engagement renforce notre dynamisme et donne une nouvelle visibilité à notre spécialité. Avec 1 223 adhérents en 2024, la SF2H atteint un record, reflet d’une dynamique positive appelée à se poursuivre.
Et le congrès ?
Il s’impose plus que jamais comme le rendez-vous phare de l’année. La richesse du programme scientifique, alliée à une forte implication de nos partenaires industriels, en fait un lieu d’échanges et d’innovations. L’édition 2025 s’annonce particulièrement prometteuse, avec une exposition technique complète et un focus sur la vaccination, sujet central sur lequel la SF2H souhaite fournir une information fiable et pédagogique pour soutenir le terrain.
Vous êtes également responsable du CPias Nouvelle-Aquitaine. Quels sont vos axes de travail ?
Plusieurs problématiques mobilisent aujourd’hui l’ensemble des CPias, à commencer par l’arrivée de Candida auris. Concernant spécifiquement le CPias Nouvelle-Aquitaine, nous travaillons notamment sur la prévention et la prise en charge des infections par voies veineuses périphériques, avec la diffusion d’outils concrets et des partenariats renforcés avec les CRAtb, les Centres régionaux en antibiothérapie. L’enjeu, aujourd’hui, est d’accélérer la prise en charge des patients. Malgré les progrès techniques, des failles de communication persistent : des informations essentielles ne sont parfois pas transmises à la bonne personne, au bon moment. Ce point constitue un axe d’amélioration majeur, qui dépasse le champ de notre spécialité, mais sur lequel il est crucial d’agir.